Colloque : Manières d’être du musical
Organisation : Jean Paul Olive, Álvaro Oviedo, Léo Larbi
16-17 novembre 2017
« Caractère », « densité », « texture », « bloc », « trait », « profil », « figure » ou encore « énergie »… : ces termes, s’ils sont souvent convoqués dans le discours musicologique intéressé aux œuvres du XXe et du XXIe siècle, semblent pourtant résister obstinément à la clôture d’une définition. Une possibilité d’explication quant à la difficulté de saisir conceptuellement ces notions est peut-être non seulement qu’elles mobilisent différentes dimensions de l’écriture mais aussi – et peut-être surtout – qu’elles cherchent chacune à désigner un aspect qualitatif du musical, ce « devenir illimité » du discours (Deleuze), difficile à neutraliser et à rationaliser. Ces notions s’adresseraient ainsi moins à l’être quantitatif du musical, son organisation paramétrique, sa structure ou même sa forme, qu’à ses manières d’être.
Dans sa tentative de rationalisation totale de l’écriture musicale, le sérialisme généralisé avait déjà permis – du moins théoriquement – d’établir un partage clair entre les paramètres quantifiables (hauteur, durée, timbre et intensité) et d’autres dimensions de l’écriture tout aussi nécessaires mais qui se maintiennent dans une certaine extériorité au système, comme un « dehors » inassimilable, en quelque sorte résistant davantage à la manipulation sérielle : articulations, dynamiques, accentuations, indications expressives. Aujourd’hui, dans un contexte musical ayant abandonné le fonctionnalisme tonal, le thématisme et la phraséologie qui lui étaient consubstantiels, il semble d’autant plus nécessaire et fécond de questionner les procédures mises en œuvre par les compositeurs pour lutter contre le risque de l’indifférencié propre à l’athématisme et pour maintenir, au contraire, un haut degré de différenciation du matériau. En effet, les conséquences de l’abandon de la tonalité et le désir de maintenir un discours musical intelligible a poussé les compositeurs des XXe et XXIe siècle à inventer de nouveaux moyens de différencier le matériau. Que ce soit au niveau du détail – par exemple pour maintenir distinctes les singularités de chaque voix dans des tissus polyphoniques complexe et athématiques – ou à un niveau plus global –pour rendre audible les repères d’une forme articulée –, les compositeurs ont dû et su théoriser et mettre en œuvre de nouveaux principes d’individuation musicaux.
Ainsi de Pierre Boulez et de sa notion d’ enveloppe « qui individualise un développement et permet lui donner un profil particulier dans le déroulement de l’œuvre », les enveloppes « ne sont plus des parties constituants du vocabulaire lui-même, comme une cellule rythmique ou des intervalles tirés d’un ensemble d’intervalles, mais ce sont des caractéristiques d’emploi, de mise en place, de mise en œuvre » ; ainsi de la catégorie de « caractère » qui prend un rôle primordial dans la différenciation des voix dans l’écriture stratifiée d’Elliott Carter, et qu’Adorno définissait déjà comme « principe d’individuation du musical » ; ou bien de la catégorie de « figure » – ou plutôt de « figural » – chez Brian Ferneyhough, qui se définit non pas comme une unité musicale reconnaissable mais comme « tendance à s’échapper des traits identifiables d’un geste » ; ou encore de la catégorie de « geste instrumental » chez Helmut Lachenmann, catégorie dont l’« aspect énergétique n’est pas du tout paramétrisable par quantification » mais qui devient « partie intégrante d’un continuum caractéristique » …