2020-2021
Séminaire « Écritures et interprétation de la musique »
dirigé par Jean-Paul Olive et Giordano Ferrari
équipe Cisi (Composition, interprétation, scènes et improvisation)
Laboratoire Musidanse. Université Paris 8
Ce séminaire aborde l’écriture musicale comme noyau de réflexion traversé par l’infinité d’enjeux que porte avec soi le phénomène musical. Encadré dans les activités de l’équipe Cisi, cet espace de partage de recherches est voué à la compréhension et à l’interrogation des œuvres ainsi qu’aux processus de création, composition, interprétation et improvisation qui les rendent possibles. Entre esthétique et analyse, au centre des communications hétérogènes proposées se trouve une conception large de la création musicale, dans l’idée que la réflexion sur un domaine permet la complexification de la pensée pour un autre. En somme, ce séminaire doctoral ouvert aux étudiant.e.s de Master se veut un lieu de rencontre et de réflexion musicale et musicologique critique, où la notion même d’écriture est non seulement ciblée mais questionnée et renouvelée en permanence.
Calendrier de séances :
Séance du 5 décembre 2020
Regards sur « Vers une musique informelle » de Th. W. Adorno – Jean-Paul Olive
Résumé :
« Vers une musique informelle » est un des textes théoriques importants d’Adorno sur la musique ; édité au sein du recueil Quasi una fantasia en 1963, il définit, sans jamais être programmatique, un certain nombre de déterminations qui pèsent sur la composition musicale dans les années 60 et réfléchit à un certain nombre de conditions permettant à la musique de conserver sa potentialité d’utopie et de liberté. Nécessairement, la lecture d’un texte si dense nous a amenés à faire des choix de problématiques et c’est sur la thématique du comportement compositionnel que nous nous sommes penchés plus particulièrement ; la question des relations entre sujet et objet ayant été au centre de la pensée d’Adorno, la musique fut assurément pour lui un champ particulier et fructueux à cet égard. La liberté de l’imaginaire, la confrontation au matériau, la question du sens et de l’écriture sont autant de dimensions présentes et questionnées dans ce texte qui ne propose pas de réponse affirmative mais ouvre à l’interrogation sur l’écoute et la pratique musicale.
Séance du 17 décembre 2020
L’ouverture de l’œuvre selon Umberto Eco – Giordano Ferrari
Résumé :
Dans le cadre de cette intervention, nous avons proposé une lecture de l’essai d’Umberto Eco L’œuvre ouverte (Bombiani 1962, Seuil 1965). Tout d’abord, nous avons dessiné le contexte historique dans lequel le livre a été écrit (Studio de Phonologie de la RAI de Milan à la fin des années 1950), et le rôle que celui-ci a pris dans le parcours de recherche du philosophe et sémiologue italien. Après être revenus sur le concept central du livre, celui de la poétique de l’œuvre ouverte, d’avoir effectué les distinctions avec l’œuvre en mouvement et, surtout, donné une perspective de ce qui porte comme vision moderne de l’œuvre, nous avons esquissé un parcours sur les thématiques qui touchent plus directement les questionnements de l’écriture musicale des années 1960. Nous avons donc rappelé la définition de poétique selon Eco, mais surtout la distinction entre « signification » et « information » sur laquelle se forme l’idée d’« informel » que l’auteur même utilise pour déchiffrer les dynamiques communicatives de l’écriture post-sérielle.
Séance du 28 janvier 2021
John Cage : nature, histoire, silence – Héctor Cavallaro
Les trois axes qui conforment ce court cycle – nature, histoire, silence – visent à créer un dialogue entre le compositeur états-unien John Cage et le compositeur italien Luciano Berio.
Résumé :
Dans cette séance, ces catégories ont été abordées à plusieurs niveaux de complexité. Ainsi, de l’éloge de la nature dans les écrits de Cage nous passons à sa musique elle-même, d’où émerge une « apparence » de nature compréhensible cette fois-ci selon l’idée du « plan d’immanence sonore », dont parlent Deleuze et Guattari, ou encore celle d’une « musique de l’immanence » comme l’appellerait Adorno. Également, la catégorie de l’histoire a été citée en distinguant entre, d’un côté, ce qui peut paraître un « anti » ou « post » matérialisme historique chez Cage et, malgré cela, d’un autre côté, l’usage de certains matériaux historiques dans une œuvre comme Apartment House 1776 (1976), écrite pour le bicentenaire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis. De même, le silence dans 4’33’’ a été évoqué au niveau de la « limite abstraite » ou « membrane sensible » dont parle David Lapoujade, et puis, au-delà de 4’33’’, au niveau de l’évolution du silence en tant que présence articulante dans les pièces écrites selon la technique du « gamut ». Enfin, un parcours analytique de certaines pièces nous a permis d’interroger quelques hypothèses autour du silence en tant qu’« océan métaphysique », dans les mots d’Andrés Levell, et en tant qu’« utopie » capable de déclencher, telle une force attirante mettant en mouvement la matière musicale, ce que nous avons nommé via Le pli de Deleuze une « cinématique de la tangente ».
Séance du 11 février 2021
Luciano Berio : nature, histoire, silence – Simon Marsan
Les trois axes qui conforment ce court cycle – nature, histoire, silence – visent à créer un dialogue entre le compositeur états-unien John Cage et le compositeur italien Luciano Berio.
Résumé :
Parler de la musique de Luciano Berio à travers les axes Nature-Histoire-Silence, relève d’un discours sur la multiplicité. Au-delà de leur terminologie, ces trois axes semblent regroupés par un engagement politique de la part de Berio. À travers des exemples variés — Visage (1961), Passaggio (1962), Laborintus II (1965), Sinfonia (1968), La vera storia (1978) —, l’objectif de cette intervention est de mettre en exergue la manière dont Luciano Berio organise et révèle son engagement social dans ses œuvres. L’Histoire, centrale dans le titre donné à l’intervention comme dans la pensée de Berio, est un carrefour où la nature sociale, en tant qu’habitus selon Bourdieu, est compromise par le silence qui lui répond, faisant de l’Histoire même un phénomène en perpétuel mouvement incroyablement riche qu’il convient d’observer à travers sa non-linéarité comme proposé par Lévi-Strauss dans Race et histoire. Si chacune des œuvres tente de mettre en évidence des préoccupations historiques et sociales, celles-ci semblent condensées dans un phénomène de répétition parfois concentré dans l’absence de réponse par le silence.
Séance du 25 février 2021
Les musiques visibles de Dieter Schnebel – Héloïse Demoz
Séance du 11 mars 2021
Le geste musical : Entre Kurtág et Lachenmann – Álvaro Oviedo
Séance du 25 mars 2021
Logique de la sensation, de Deleuze – Olga Moll
Résumé :
Dans le cadre de cette intervention, nous avons proposé une lecture de Francis Bacon, Logique de la sensation de Gilles Deleuze (Paris, Éd. du Seuil, 2002), lecture complétée par l’écoute du cours sur la peinture, donné à Paris 8 de mars à juin 1981 (qu’on trouvera sur Webdeleuze ainsi que de nombreux autres cours du philosophe). Étant donné la richesse et la complexité de la démarche deleuzienne, cette intervention est à considérer comme une première étape (sur deux) qui nous conduit jusqu’à une approche du diagramme. La trajectoire qui y mène passe par les concepts suivants : capture des forces, figuration et figural, sensation et en particulier sensation comme rythme, clichés, diagramme comme chaos-germe, mais aussi comme troisième voie entre chaos et code. Cette trajectoire est accompagnée d’un détour et d’une proposition à partir de l’œuvre de Messiaen : détour par la catégorie de personnages rythmiques, empruntée par Deleuze à ce compositeur ; proposition qui consiste à présenter le processus compositionnel de Messiaen, d’une part, comme exemple de déformation des clichés pour la génération du matériau ; d’autre part, comme exemple de remplacement du diagramme par le code.
Séance du 8 avril 2021
Texte et pré-texte(s) en jazz, Bitches Brew – Philippe Michel
Résumé :
Hormis quelques rares cas de musique (entièrement) écrite explorant/exploitant des « sonorités » jazz (la musique – et l’approche musicologique – d’André Hodeir, le Third Stream, les influences jazz dans la musique de film, entre autres exemples), toute la production de cette culture musicale métisse d’origine afro-américaine communément appelée jazz s’appuie, depuis plus d’un siècle, sur un principe d’« ouverture » (en référence aux travaux d’Umberto Eco sur d’autres univers musicaux et artistiques) faisant des performers les co-créateurs des projets envisagés. La spécificité des processus de création du jazz réside en effet dans la non-fixité de ce qui est prévu avant le moment de la performance, fait de pré-textes explicites (thème principal et son éventuelle trame harmonique associée, ligne de basse, vamp, riff, backings, « specials », forme, parcours, ordre des solos, etc.) et implicites (traces et réminiscences de performances antérieures, potentiel de réalisation des performeurs) dont l’utilisation combinée dans le temps réel du jeu occasionne de multiples réalisations (rendre réel) du projet (projeter une/des possible-s performance-s) à chacune de ses « remises sur le métier ». Tirant toutes les conséquences de l’évolution historique des techniques de studio ayant vu l’enregistrement devenir progressivement davantage que la simple captation d’un « instantané » (comme en photographie), le travail initié par Miles Davis en 1969 pour les albums « In A Silent Way » et (surtout) « Bitches Brew » (avec notamment le 1er titre de la face A du disque 1, Pharaoh’s Dance) tend à faire de la post-production (collage-montage, effets) un véritable travail d’écriture, reprenant en cela un principe déjà en vigueur dans les années 1960 pour les groupes de culture rock ou, d’une certaine façon, dans le domaine de la musique concrèt) depuis la fin des années 1940. À travers, d’une part, l’observation de manuscrits autographes de musiciens de jazz répartis sur plusieurs décennies, et, d’autre part, l’analyse comparée du manuscrit de Joe Zawinul pour le projet Pharaoh’s Dance avec la plage figurant sous ce titre sur l’album « Bitches Brew » (Miles Davis), on s’interrogera sur les notions de texte et pré-texte(s)/prétexte en jazz et sur l’évolution du rapport du jazz à l’idée d’œuvre, entre fixité et « ouverture ».
Séance du 20 mai 2021
« Deux opéras inachevés au coeur du XXe siècle : Lulu et Turandot » – Intervenants : Jean-Paul Olive et Giordano Ferrari
Questions sur l’écriture dans Turandot de G. Puccini – Giordano Ferrari
Critique et utopie dans l’opéra Lulu – Jean-Paul Olive